L'étrange histoire d'Allan Green



Il est des choses dans la vie que nous ne comprenons pas, même avec la meilleure volonté du monde, tellement elles nous paraissent bizarres. Tenez par exemple, je connais un jeune homme à qui il est arrivé une bien étrange aventure, et quand je dis 'étrange', je suis certain que jamais vous n'avez entendu une histoire si, comment dire… particulière. Avant ces tristes évènements, il était toujours de bonne humeur, très amical, toujours prêt à rendre service. Il vivait encore chez ses parents, car il n'avait que dix huit ans. Ah oui j'allais oublier, il avait aussi une petite amie, Kimberly, toute de douceur et de tendresse. Il fallait les voir quand ils se promenaient ensemble, main dans la main. On ressentait rien qu'en passant auprès d'eux tout l'amour qui les unissait, si beau et si puissant. Ils s'étaient rencontrés lors d'une fête à l'université, et depuis ils ne se quittaient presque plus.
Désormais ce pauvre garçon attend avec impatience la main secourable qui viendra le nourrir.
En luttant de toutes ses forces pour ne pas la mordre sauvagement.
Et ce pauvre garçon, c'est moi.

Je suis né dans une famille que l'on peut qualifier de riche. Mes parents possèdent une grande maison de style colonial avec une immense piscine, et tout un tas de trucs tape à l'œil qui ne m'intéressent pas beaucoup. Mon père (j'adorais mon père) est dans la finance, et ses moyens lui permettent d'acheter ce qui lui fait croire qu'il a réussi. Moi je pense le contraire, je crois que l'homme a besoin d'autre chose que d'objets matériels pour s'accomplir. Nous avons eu de nombreuses discussions là-dessus, et il ne comprend pas très bien mon point de vue. Mais quel père n'a pas envie que ses enfants réussissent dans la vie, à l'abri du besoin ? Ma mère bien entendu ne travaille pas, sauf à la maison, et passe son temps en réceptions et réunions entre copines. Mais tout ça n'est qu'une façade, car combien de fois je l'ai vu pleurer secrètement assise sur une chaise dans la cuisine depuis que mon petit frère Brian est mort. Il y a des blessures qui ne se referment jamais.
Maman aussi je l'adorais, et nous avions mes parents et moi une vraie complicité. Je ne leur cachais rien de mes pensées, même les plus intimes.





Je me souviens quand j'étais petit des histoires que papa me racontait le soir dans ma chambre avant de m'endormir. Il s'asseyait sur mon lit et me parlait des aventures fabuleuses que vivaient les tous premiers hommes. J'étais entièrement subjugué par ses récits palpitants, et je lui posais toujours un tas de questions jusqu'à ce que mes yeux se ferment et que je m'endorme pour de bon. Alors il se penchait vers moi, me faisait un gros bisou sur le front et laissait la porte entrebaîllée, au cas où j'aurais fait un cauchemar.
L'une des histoires que je préférais était celle des mammouths et des mapprouths qui vivaient à une époque très lointaine. Les mammouths c'étaient les mamans mammouths, et les mapprouths c'étaient les papas. Ils avaient des enfants bien sûr, de gros animaux tout rond avec des poils aussi longs que la barbe d'un ermite, et quand ils gambadaient dans l'herbe ils se prenaient les pattes dedans et roulaient comme des tonneaux. Ça les faisaient beaucoup rire. A cette époque où tout le monde était uniquement revêtu de vent et de soleil et où les femmes faisaient des greu-greu-greu-oumpf-oumpf pour annoncer que le dîner était prêt, ceux-qui-marchent-debout et les animaux vivaient en paix. Sauf que parfois un énorme tigre à dents de sabre passait dans les parages, histoire de casser une petite croûte. Il sautait sur un petit d'homme pour le manger tout cru, et si son estomac faisait encore trop de gargouillis, il en prenait un deuxième, et pourquoi pas un troisième. Les humains en avaient une peur bleue, et ils demandèrent aux mammouths et aux mapprouths de les aider à tuer cet animal sauvage et trop cruel.
Quand le tigre à dents de sabre arriva un beau matin en se pourléchant les babines, les animaux le chargèrent puis avec leurs grandes trompes ils jouèrent à le lancer très très haut dans le ciel, toute la tribu dansant frénétiquement autour d'eux, en grommelant pleins de mboula-mboula-troumpf-troumpf.
Le tigre à dents de sabre réussit quand même à se sauver, cabossé de partout, un énorme mal de tête lui vrillant le crâne et plein d'étoiles multicolores dans ses gros yeux. Il n'est plus jamais revenu.
De là je pense est venu mon goût pour l'écriture d'histoires fantastiques, histoires que je garde jalousement pour moi. Je n'ai jamais osé les montrer à quiconque, pas même à mes parents et encore moins à Kimberly. J'ai bien trop peur qu'ils les trouvent nulles, ou alors c'est par simple pudeur.
Il y a un mois j'ai commencé l'histoire d'un jeune homme qui se transforme petit à petit en plante carnivore.
Ouah hou ! Quelle imagination ! Mais ce n'est pas de la tarte à écrire, je vous jure que ce n'est vraiment pas de la tarte.





Mes parents sont partis il y a deux semaines en avion prendre quelques vacances. Je n'ai pas voulu les accompagner, d'une part parce que je voulais terminer mon histoire, mais surtout parce que je désirais rester avec Kimberly, juste nous deux chez moi, pour la première fois depuis que nous nous connaissons. Ses parents lui ont donné leur autorisation pour trois jours, pas plus, avec toutes les recommandations d'usage pour une jeune fille qui se retrouve seule avec un garçon. Maman a fait de même avec moi, et papa en m'embrassant m'a offert un petit clin d'œil complice. Vous arrivez à imaginer ça, trois jours entiers seul avec elle ? Kimberly est arrivée le lendemain de leur départ, et ce matin là en me réveillant j'en bouillonnais déjà d'impatience.
Je me suis levé, j'ai pris mon petit-déjeuner et hop, direction la salle de bain pour une bonne douche. J'en prend une par jour, parfois deux, j'aime bien me sentir propre.
Je me suis savonné avec l'énergie du désespoir, et en passant mes mains sur mon cou, j'ai ressenti une douleur aiguë. Je suis sorti de la douche tout dégoulinant de mousse pour aller voir ça de plus prêt dans le miroir. J'avais un minuscule poil de quatre ou cinq millimètres qui ressortait de ma peau. J'ai passé le doigt dessus, il était très dur et… tout vert. Comme une épine de cactus.
J'ai terminé ma toilette et me suis habillé. J'étais vraiment content, tout beau tout propre pour recevoir Kimberly. Mais cet espèce de poil disgracieux me gênait beaucoup, et même en tirant dessus je ne pouvais pas l'arracher.
Ça me faisait trop mal.

Kimberly est arrivée vers quatorze heures, fraîche et rayonnante comme à son habitude. Elle avait seulement trois valises avec elle. Une par jour. Ah les femmes…
Nous avons discuté de choses et d'autres presque tout l'après-midi sur le canapé, mais surtout nous avons beaucoup ri. Avec elle je me sentais si bien, et surtout très heureux.
Je l'aimais tellement ma Kimberly.
Je lui ai montré cette espèce d'épine sur mon cou. Elle a d'abord été très étonnée puis a pris une pince à épiler pour me la retirer. Mais rien à faire, elle ne voulait pas sortir, et c'était bien trop sensible. Je lui ai dis de laisser tomber et de ne pas y mettre les mains pendant que…
Nous nous sommes retrouvés comme par hasard dans ma chambre, enfin 'par hasard' si j'ose dire. Je n'ai pas besoin de vous faire un dessin pour savoir ce qui s'y est passé. C'était notre première fois à tous les deux. Nous en avions beaucoup discuté auparavant afin d'être sûr et certain de vouloir le faire et nous étions prêts pour le grand saut.
Ce fut comment dire… envoûtant. C'est ça, il n'y a pas d'autres mots. C'était pour nous deux une véritable exploration de nos corps nus. Toutes ces lignes et ces courbes... Les merveilleuses courbes qu'elle a partout. Et de sentir ses mains de velours sur ma peau bronzée...
On l'a fait avec une attendrissante maladresse. Sauf que ç'a n'a pas été si envoûtant que ça pour moi car au moment où j'allais enfin pénétrer dans la grotte mystérieuse et enchantée, (vous rendez-vous compte, une grotte toute rose !!!), j'ai tout étalé sur son ventre, tellement j'étais trop excité. Je me suis confondu en excuses et elle en c'est-pas-grâve-ce-sera-mieux-la-prochaine-fois et nous nous sommes mis à rire, mais à rire ! On n'en pouvait plus tellement on riait. Et la prochaine fois arriva à peine une heure plus tard, le temps de recharger mes batteries. Et là franchement, ce fut tout simplement sublime.
Peut-être vous demandez-vous ce qu'il me prend de vous raconter tout ça, des choses si intimes, alors que vous vous y connaissez aussi bien que moi dans ce domaine. Sauf que c'est important pour la suite de mon histoire.

Le soir nous avons soupé d'un plat préparé par maman avant qu'elle parte. Elle en avait accommodé tout un tas qu'il n'y avait plus qu'à réchauffer. Kimberly a juste fait une salade verte. J'ai à peine touché au plat, mais j'ai rempli mon assiette de salade, que j'ai littéralement dévoré. Je trouvais ça délicieux, j'en ai même repris trois fois. Kimberly me regardait les yeux ronds et m'a demandé d'arrêter avec ma salade, sinon j'allais me transformer en gros nénuphar qu'elle retrouverait auprès d'elle dans le lit. Elle riait en disant ça, mais je sentais que je lui faisais un peu peur. Je l'ai enlacée en lui disant avec une grosse voix : 'Moi gros nénuphar, toi être jolie grenouille et moi vouloir te manger !'
Je me suis jeté sur elle et j'ai fais semblant de vouloir la dévorer, en l'embrassant sur ses joues de nacre.
N'empêche, j'avais encore une énorme envie d'ingurgiter plein de salade.

Nous avons passé la soirée devant la télévision, pelotonné l'un contre l'autre.
Et nous sommes allés nous coucher.

Le lendemain matin je me suis levé de bonne heure. Kimberly dormait encore. Elle est si belle quand elle dort. On dirait un astre de conte de fée, ou une jolie libellule avec une tête humaine, faite de grâce et de beauté. Je suis entré sous la douche, sans penser à cette épine que j'avais dans le cou. D'ailleurs ça ne me faisait plus mal. J'ai commencé à me laver et j'ai de nouveau senti une douleur aiguë. Je suis ressorti comme la veille pour examiner ça devant le miroir et il n'y avait plus seulement un poil dur, mais quatre. Aussi vert l'un que l'autre. J'ai essayé de les retirer mais pas moyen, c'était trop douloureux. Pourquoi est-ce que ce n'était que maintenant que je les sentais, alors que durant la nuit la douleur aurait dû me réveiller ? Je n'en savais rien du tout et je suis retourné sous le jet d'eau tiède, très perplexe.
Kimberly m'a rejoint, et quand elle a voulu mettre ses bras autour de mon cou, je les lui ai pris pour les mettre autour de ma taille. Je lui ai montré ce qui m'était encore poussé et elle m'a fait promettre de prendre un rendez-vous chez le médecin.
Ce que je n'ai jamais fait.

On a pris notre douche ensemble.
Enfin on a pas fait que prendre une douche.
Ce fut tout simplement divin.

Dans la journée nous sommes allés nous promener dans la campagne. Nous étions au printemps, et les odeurs qui chatouillaient nos narines étaient enivrantes et capiteuses. De l'aubépine bordait le chemin, les pommiers étaient en fleurs, et plein de plantes sauvages poussaient dans l'herbe. J'ai voulu aller cueillir un bouquet pour Kimberly. Je lui ai dit de m'attendre et me suis enfoncé dans un champ, de l'herbe jusqu'au mollet. Toute cette herbe !!! J'en avais l'eau à la bouche. Quand je fus certain qu'elle ne pouvait pas me voir, je me suis penché et j'en ai mangé à pleine poignée, voracement. Ça dégoulinait sur mon menton, j'en avais les dents toutes vertes. J'ai sorti un mouchoir et j'ai frotté pour enlever les traces, cueilli quelques fleurs et suis retourné vers elle. Elle n'a rien vu de mon étrange comportement.
Heureusement, parce que je n'aurais vraiment pas su quoi lui expliquer.





Les trois journées prirent fin, sans rien de particulier à raconter. Aucun autre poil disgracieux n'avait poussé, et Kimberly en repartant m'a encore fait promettre d'aller voir un médecin. Je lui ai promis tout ce qu'elle voulait, la main sur le cœur.
Je me suis retrouvé seul dans cette grande maison, mais de toute façon nous nous reverrions dès le lendemain.
Je me suis assis sur le canapé, tout heureux des merveilleux moments passés ensemble. Une grosse mouche s'est déposée sur mon bras. Je l'ai regardée quelques instants se balader sur ma peau puis d'un geste rapide je l'ai attrapée dans le creux de ma main et je l'ai mangée. Oui je l'ai mangée ! Elle avait un goût exquis, toute cette bonne chair qui a à peine croqué sous ma dent.
J'ai trouvé tout naturel de faire ça.
A midi je me suis préparé un repas, uniquement une énorme assiette de salade verte.
Nature, sans vinaigrette.
Et j'ai fait de même pour mon souper.
Allan Green . Je n'ai jamais si bien porté mon nom.





Le soir je me suis couché très tard. Le parfum de Kimberly embaumait encore toute la pièce.
J'ai fait un cauchemar, un horrible cauchemar.
J'étais à l'orée d'un bois. Il y avait un sentier qui pénétrait sous les arbres. Je l'ai pris, une petite brise rafraîchissante me caressant le visage. Je n'avais jamais vu de tels arbres jusqu'à présent, avec d'énormes troncs et de grandes feuilles de toutes les couleurs. Je me sentais si petit à côté d'eux. Je ressentais un bien-être très agréable dans cette forêt presque magique. J'ai marché un bon moment et me suis retrouvé au bord d'une mare. L'eau était si limpide qu'on aurait dit un miroir. Malgré la brise, aucune vaguelette n'en atténuait sa platitude. De splendides papillons voletaient au-dessus de l'eau.
J'ai aperçu un petit garçon tout habillé de blanc sur la rive, âgé d'une douzaine d'années. Je me suis approché de lui, me demandant ce qu'il pouvait faire là tout seul dans cet endroit.
Quand j'ai vu qui il était, j'ai eu un grand choc.
C'était mon petit frère, Brian.
Il avait les yeux vides et fixes, ne s'apercevant pas du tout que j'étais à coté de lui. Je me suis agenouillé et je l'ai pris dans mes bras, en pleurant et en l'embrassant très fort.
- Oh Brian mon petit Brian, qu'est-ce que tu fais ici ? Oh je suis si content de te revoir, tu m'as tellement manqué. Mon petit frère comme je t'aime, comme je t'aime ! Je vais te ramener à la maison. Papa et maman seront si heureux.

Mais Brian ne réagissait pas, et soudain alors que je le tenais si serré dans mes bras il s'est volatilisé, je ne tenais plus que le vent.
J'ai crié pour qu'il réapparaisse, j'en avais mal à la gorge, mon cher petit frère trop tôt disparu à cause d'une saloperie de maladie.
Cet endroit si idyllique s'est tout à coup transformé. Le ciel s'assombrit et devint d'une clarté étrange, d'une lueur entre chien et loup. Une énorme bourrasque soufflait dans les arbres. Et il y avait des cris dans la forêt. Des cris monstrueux, atroces et déchirants, comme ceux de gens torturés à mort. Alors qu'auparavant de superbes fleurs bordaient la mare, ce n'était plus que ronces et épines.
Et de plantes carnivores qui essayaient de m'attraper et de me mordre.
Je me suis sauvé par le sentier et quelque chose me poursuivait. Je sentais son souffle chaud dans mon cou, son haleine fétide sur ma nuque. Je courais à perdre haleine pour lui échapper, au bord de la panique, mais je savais que c'était impossible.
J'étais perdu.
Je me suis réveillé à ce moment là, mon cœur battant à tout rompre, trempé de sueur, les draps entortillés autour de mes jambes.
J'ai allumé la lampe de chevet.
Et j'ai hurlé, hurlé, hurlé…
Toute ma peau n'était plus rose mais verte. D'innombrables fines épines en ressortaient, d'une longueur d'au moins deux centimètres. Mais je n'en ressentais aucun mal.
Je m'étais métamorphosé et j'avais une énorme envie de manger des mouches et de l'herbe.
J'étais devenu une de ces plantes carnivores du bord de la mare.
Mon horreur du début s'est transformée en un agréable sentiment de volupté, je me sentais si bien dans ma nouvelle peau.
Et je me suis vraiment réveillé cette fois-ci, j'ai vraiment allumé la lampe de chevet, trempé de sueur pour de bon, et ma peau était aussi rose qu'avant de m'endormir.
Je suis allé dans la salle de bain pour voir la tête que j'avais, et trois nouvelles épines avaient poussé à coté des autres.
Et devinez quoi ?
J'ai pris une douche.

Je me suis regardé dans le miroir pour examiner encore une fois ces petites épines.
Une autre chose bizarre se produisait également. Je pensais à Kimberly comme à quelqu'un qui m'était presque inconnue, quelqu'un qui ne me procurait aucun sentiment particulier. Ni mes parents d'ailleurs. Ce n'est pas venu petit à petit, ça s'est imposé à mon esprit d'un coup, comme une évidence.
Je regardais dans le miroir un être de glace, sans affection ni amour pour personne.
C'était tellement agréable comme sensation.





Kimberly est venue dans l'après midi. Tout de suite elle m'a demandé si j'étais allé voir un médecin. Je lui ai répondu que oui, le matin même. Ça ne m'a pas gêné du tout de lui mentir si effrontément. Le médecin m'avait soi-disant dit que ce n'était pas très grave, une petite éruption cutanée qui passerait d'ici quelques jours. Elle était rassurée, c'était le principal.
On a recommencé nos petits jeux intimes, mais cette fois-ci il n'était plus question de ses jolies courbes et de tendresse, ni de sa peau au goût de miel, c'était uniquement pour me vider les couilles. Vous serez certainement choqués par mon expression pas très jolie, mais c'est tout ce que je voulais faire avec elle, un désir puissant, sans fioritures. Et je n'éprouvais plus du tout cet amour qui me rendait si heureux. Je me sentais comme une bête, mais une bête végétale, telle une plante carnivore. Oh rassurez-vous j'ai bien caché mon jeu, elle a même poussé tous ces petits cris rigolos pendant nos ébats et je crois bien que je l'ai satisfaite.
Et j'en ai redemandé trois fois, comme pour la salade.

Nous sommes encore partis nous balader main dans la main, comme deux amoureux follement épris l'un de l'autre, et je me suis débrouillé pour manger de l'herbe et gober des mouches et des insectes sans qu'elle s'en aperçoive.
Une petite collation digne d'un grand chef !
Le soir elle est rentrée chez elle. Je me sentais enfin débarrassé de sa présence, et ce n'était pas trop tôt. Je pouvais enfin faire ce que je voulais.
Il m'est venu à l'esprit que j'avais une histoire en cours. Je me suis mis à mon bureau et j'ai relu ce que j'avais écrit. Ça n'avait pas du tout attiré mon attention sur le moment, mais l'histoire de ce jeune homme qui se transformait en plante carnivore était ce que je vivais actuellement. Comment n'y avais-je pas pensé ? Les mêmes choses que j'avais imaginé se reproduisaient pour de vrai, et c'était moi qui les vivais. C'était incroyable, mais c'était comme ça. Je n'avais pas terminé mon histoire, donc je ne savais pas de quelle manière tout ça s'arrêterait.
J'ai essayé d'écrire quelques lignes, mais rien ne venait, mon cerveau était aussi vide que celui d'un poireau en plein soleil.
J'avais beaucoup trop faim.
J'ai ouvert la fenêtre et tout un tas d'insectes sont entrés dans ma chambre, attirés par la lumière du plafonnier. J'en ai attrapé plusieurs, de bons gros papillons de nuit, tendres et succulents. Vous devriez y goûter, il n'y a pas meilleure nourriture.
Ça et la salade.

Je me suis couché et pendant que je dormais plein d'autres épines sont apparues sur tout mon corps cette fois-ci. Ça ne m'a pas réveillé.
J'ai refait le même rêve. Mais Brian n'est pas réapparu, à mon grand soulagement. De toute façon, qu'est-ce que j'aurais pu faire avec lui dans mes pattes ? Ce n'était plus un cauchemar car je me sentais bien avec toutes ces ronces et ces arbustes épineux. Je me suis approché des plantes carnivores et je les ai caressées. Elles faisaient partie de ma famille, mieux elles étaient mes soeurs. Je me suis roulé dedans, sentant leurs petites épines me transpercer, un vrai délice. L'une d'elles a ouvert ses grandes feuilles dentées comme pour me happer le bras, et elle a vraiment réussi à le faire, mâchant goulument mon membre. Je n'en ressentais aucune douleur, je voulais même qu'elle continue. Je désirais de toute mon âme devenir comme elle, une plante qui se nourrit de chair et de sang. Elle a continué son œuvre et je l'ai laissé faire. C'était tellement agréable. Les autres plantes ont fait de même, elle m'ont entièrement dévoré, et je suis devenu comme elles.
Tout simplement.
J'ai vécu des jours merveilleux avec mes nouvelles compagnes, attrapant et gobant tous les insectes qui passaient à notre portée, même des grosses araignées toutes noires.
Le bonheur absolu.





Mais une chose effroyable s'est produite. Je ne pouvais pas rester dans cet endroit au bord de la mare. Ou plutôt si je pouvais rester, mais pas de la façon que je voulais. Je n'étais plus dans un rêve, mais dans une sorte de quatrième dimension, un monde parallèle où je percevais tout ce qui se passait de l'autre côté, dans mon monde naturel.
Mes parents étaient rentrés de vacances plus tôt que prévu. Je les voyais comme à travers une glace sans teint, moi d'un côté et eux de l'autre. Kimberly était avec eux, en pleurs. Je les entendais discuter de ma disparition soudaine, de recherches effectuées par des policiers, d'affiches placardées dans les rues et les magasins de toute la ville avec ma photographie dessus, demandant si quelqu'un avait aperçu ce jeune homme introuvable.
Papa et maman étaient debout au milieu du salon dans les bras l'un de l'autre, une tristesse infinie sur leurs visages, de grosses larmes coulant sur les joues de ma mère.
Et tout en étant au bord de cette mare j'étais aussi dans leur jardin, parmi d'autres plantes carnivores que mes parents possèdent.
Je sais que maman les nourrit tous les jours avec des insectes qu'elle achète, et forcément elle viendra tout près de moi pour mon repas quotidien.
Alors j'ouvrirai tout grand mes feuilles pour avaler ces délicieuses friandises, en essayant de toutes mes forces de ne pas lui mordre la main sauvagement avec ma bouche pleines d'épines, parce qu'il me faut de la chair et du sang.


Et si jamais cela arrive quand même, qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
Je suis une plante carnivore non ?

auteur : mario vannoye
le 02 juillet 2008