J’ai fais des conneries aussi, comme tout le monde, la plus grave étant le jour où j’ai assassiné le fils de mes voisins, un petit merdeux qui n’arrêtait pas de me casser les couilles. Enfin, je crois que c’est la plus grave, car avec toute la meilleure volonté du monde, je n’arrive pas à m’en souvenir. Ce petit con l’avait bien cherché d’ailleurs. Vous savez comment il m’appelait ? Non je ne vous le dirai pas, vous seriez encore capable de vous moquer de moi. S’il y a des choses que je n’ai jamais compris, c’est bien la méchanceté et la bêtise, et il y en a beaucoup des gens cons et méchants ! Rien que dans mon entourage, je pourrai vous en citer des tas. J’ai proprement zigouillé cette petite ordure, et jamais je ne me suis fais prendre. Est-ce que je regrette d’avoir fais ça ? Non, pas du tout. Et si je dois me retrouver devant je ne sais qui une fois mort, je suis sûr qu’il comprendra mon geste, qu’il y a des choses dans la vie qu’il faut faire, peut importe le prix.
Comme j’en avais vraiment marre de lui et de ses moqueries, je me suis caché sur son chemin un soir qu’il sortait de l'école, et je lui ai balancé une brique en pleine figure. Il n’a rien vu arriver du tout.
Son nez pissait le sang comme une fontaine, et il gueulait comme un goret. Mais bon, on ne risquait pas de nous entendre, c’était dans le petit bois qu’il prenait pour rentrer chez lui, et il n’y avait jamais personne à part lui qui passait par là. J’ai pris un gros bâton qui traînait par terre, et je l’ai levé au-dessus de sa tête. Il me suppliait d’arrêter, les mains tendues vers moi, en chialant comme une fillette. Et lui qui m’avait autant casser les couilles, il l’a vraiment regretté. Moi aussi je lui ai cassé les couilles, avec mon bâton, encore et encore. Ca faisait un bruit mat, et franchement ça ne devait pas être joli à voir dans son pantalon, une vraie bouillie. Il essayait de se les protéger des deux mains, celles-là même qui m’avaient poussé un jour dans les escaliers de notre immeuble, me cassant deux dents. J’avais raconté à tout le monde que j’étais tombé, que j’avais loupé une marche. J’étais comme fou, et quand j’ai visé sa tête, je crois qu’il devait être mort depuis un petit moment déjà. Ca ne m’a pas empêché de le tabasser quand même, toute ma rage me rendant complètement hystérique, une vraie furie. J’ai bien dû le frapper pendant cinq bonnes minutes avant d’arrêter, son sang giclant partout autour de lui. Après je n’ai même pas paniqué. J’ai soulevé le corps, je l’ai emmené tant bien que mal jusqu’au pied du ravin à trois cents mètres de là, respirant comme un phoque, et je l’ai balancé par-dessus. Puis j’ai nettoyé toutes les traces. On ne l’a jamais retrouvé, malgré toutes les recherches, c’est ça le plus extraordinaire. Il doit y être encore, enfin ce qu’il en reste. J’ai été interrogé, comme beaucoup d’autres, mais je n’ai pas flanché, j’ai vraiment fais l’innocent. D’ailleurs, comment les flics auraient pu supposer que c’était moi qui l’avait fait disparaître, alors que je n’avais que treize ans ?
Il y a eu d’autres fois où j’ai encore eu envie de tuer quelqu’un, mais je ne suis plus jamais passé à l’acte.
J’ai toujours cru que le fait de faire le pitre me rendait attachant, mais je me suis lourdement trompé. Non, personne ne tient véritablement à moi, et je ne manquerai à personne. J’ai bien caché mon jeu, ou plutôt non, je n’ai rien caché du tout, seulement aucun n’a vu toute la détresse qui me rongeait, qu’une fois seul chez moi je traînais ma solitude et mon angoisse comme un fardeau trop lourd à porter. Voilà où j’en suis maintenant, je souffre trop, je ne veux plus connaître tous ces instants malheureux. Je suis beaucoup trop à l’affût du moindre témoignage d’amitié, d’amour ou de tendresse, et cela m’a détruit. Et ce vide immense que je ressens jour après jour…
J’ai reperdu connaissance tout à l’heure. En tournant un peu la tête je voie toute la mare de sang qu’il y a par terre. Tout ce sang ! Ça vient vraiment de moi tout ça ? Je suis de plus en plus faible, et j’ai même des hallucinations. Celui que j’ai tué il y a des années est venu tout à l’heure, et il m’a soufflé à l’oreille que je ne méritais que ce que j’avais semé, que c’était bien fait pour moi, juste retour des choses. Je l’ai chassé avec la main, arme dérisoire contre ce fantôme vengeur, mais il est revenu à la charge plusieurs fois. Je commence à délirer, les somnifères n’ayant pas l’effet escompté. Je croyais naïvement que je pourrai appuyer sur le bouton de la perceuse juste avant de sombrer dans le néant, mais il n’en est rien. Je suis dans un état d’hébétude, mais je sais que je ne m’endormirai pas. J’ai horriblement mal au ventre, avec tous les cachets que j’ai avalé. Pourtant, je n’ai pas du tout envie de vomir. Je ne dois pas regarder en arrière. Le visage de mes ex-amis reviennent me hanter, surtout celui que j’ai perdu de vue, et j’ai la nette impression que des larmes coulent sur son visage en me voyant comme ça, étendu sur le sol, avec cette perceuse au-dessus de ma tête, prête à me transpercer le crâne. Il me prend la main et la serre très fort, comme pour m’accompagner dans mon voyage. J’essaie de lui dire quelques mots, et certains arrivent encore à sortir de ma bouche, lui disant que je regrette, que j’ai encore pour lui une profonde amitié malgré toutes ces années passées, mais que j’irai jusqu’au bout cette fois-ci.
Je cherche l’interrupteur en tâtonnant de la main. Je panique car je ne le trouve pas. Dans ces quelques secondes épouvantables, j’ai presque eu envie de renoncer à faire ça, mais de toute façon il est trop tard, avec tout le sang que j’ai déjà perdu. Je trouve quand même le câble, je le suis de la main, et enfin je tiens ce maudit contact.
J’ai réussi à appuyer dessus, et le moteur fait un bruit de tous les diables. Je vois la mèche tourner à toute vitesse, si près de moi, je suis comme hypnotisé. La perceuse commence à descendre, et la mèche me frôle la peau. Quand elle me transperce la tête, je sens le sang qui gicle partout, l’os qui craque, et le métal continuer sa descente infernale, jusqu’à atteindre mon cerveau. Tout ça oui je le sens, pas très longtemps, mais je le sens. Et c’est horrible !
Ça n’a duré que quelques secondes.
Ce n’est la faute de personne.
De toute façon, il est trop tard pour les regrets.
Je ne crois pas que je manquerai beaucoup à quelqu’un.
Mais moi, je vous aimais.
auteur : mario vannoye
le 07 octobre 2007