Je me suis remis à marcher, mais pas très longtemps. C'était pratiquement impossible en pleine nuit avec tous ces obstacles à franchir. En me tordant la cheville sur une pierre j'ai hurlé de douleur en employant pleins de jolis mots de la langue française que je connais, et même quelques-uns qui n'ont jamais été dans un dictionnaire. Tous les saints du paradis devaient être rouge de confusion en entendant mon vocabulaire, si jamais ils se trouvaient dans les parages pour me donner un petit coup de main. J'en avais plus que marre de cette saloperie de forêt, à tourner en rond, sans savoir ce que les autres étaient devenus. Je me suis écroulé sur une énorme racine, me massant la cheville, pestant contre tout et rien.
Je luttais contre le sommeil mais j'ai fini par me rendormir, malgré la douleur lancinante de mon pied.
J'ai fais d'horribles cauchemars, le plus affreux étant celui où une présence maléfique hantant ces lieux depuis des siècles se manifestait pour de bon, faisant tourner autour de moi feuilles et plantes qu'elle avait arrachées du sol. On aurait dit une tempête infernale qui n'arrêtait plus de tourbillonner encore et encore. Je vis dans ce feuillage diabolique des visages me regarder, sujets d'expériences inhumaines, avec leurs yeux sanguinolents pendants sous leurs orbites, leurs langues coupées me faisant d'affreuses grimaces, enfants, femmes et vieillards mutilés pour je ne sais quelle coupable faute. L'entité de la forêt me montrait des choses abominables, des visions démentielles et insupportables qui ont bien failli me rendre fou.
Il y en eut un autre tout aussi atroce où j'errais sans cesse dans cette maudite forêt, pendant des jours et des jours, avec des créatures monstrueuses qui me poursuivaient pour m'arracher les chairs. Elles avaient déjà dévoré le petit Benjamin et son père. Je sentais le souffle répugnant de l'une d'entre elles dans mes narines, son haleine fétide et écoeurante prête à me faire vomir. Ce qui m'a réveillé de ce cauchemar c'est que j'avais le sentiment que tout cela était vrai. En ouvrant les yeux j'ai revu ces deux yeux jaunes qui me scrutaient à dix centimètres de mon visage, l'haleine fétide et répugnante de l'animal prête à me faire vomir. Je n'osais plus faire un seul geste, horriblement paniqué d'avoir cette chose immonde juste au dessus de moi.
Cela a duré une éternité, la bave du monstre s'écoulant entre ses crocs gigantesques et me dégoulinant sur le visage. Puis sans aucune raison elle partit en courant à travers la forêt, comme si un appel mystérieux l'avait fait changer d'avis. Je restais étendu sur le sol, tout tremblant, conscient que je l'avais échappé belle.
Je me suis recroquevillé dans les feuilles, en essayant de dormir malgré la crainte de voir revenir l'animal. Je ne me suis réveillé qu'au petit matin, le jour commençant à peine à poindre.
Il s'était remis à pleuvoir. Je vis la chose la plus merveilleuse qui m'a été donné de regarder jusqu'à présent. Une biche et son faon me dévisageaient à quelques mètres, communion magique de la nature, végétation, animaux et être humain. Ce moment de grâce m'a fait oublier tous les terribles évènements de cette nuit, mais maman biche a déguerpi quand j'ai bougé, son petit la suivant comme son ombre, et tout m'est revenu d'un coup.
Benjamin, son papa, les yeux jaunes, l'entité monstrueuse, la marche interminable dans ces bois, la nuit démentielle...
Je me suis relevé et j'ai marché en boitant, ma cheville me faisant terriblement souffrir. Elle était très enflée, mais j'ai quand même continué en clopinant.
Je suis enfin arrivé au bord d'une route goudronnée et j'ai fais du stop. Les gens ne voulaient pas me prendre tellement j'étais sale, avec une tête à faire peur après ce que je venais de vivre, les vêtements déchirés. Il y a quand même quelqu'un qui a bien voulu s'arrêter. J'ai passé des heures et des heures à raconter mon histoire aux autorités et à Sandrine. J'essayais de la consoler de mon mieux, mais il est tellement difficile de trouver les mots qu'il faut dans ces cas-là.
Des tas de gens nous ont aidé à passer la forêt au peigne fin, mais jamais nous n'avons retrouvé Christian et Benjamin.
La forêt nous les a pris.
J'ai perdu mon plus cher ami et son fils, et j'en ai le coeur brisé quand j'y pense, en me disant que tout est de ma faute, que j'aurais dû faire plus attention quand ils allaient se cacher derrière les arbres. Mais sachez que peu importe où vous êtes, je vous aime énormément.
C'est ça le plus terrible, ne pas savoir ce qu'ils sont devenus.
auteur : mario vannoye
le 31 mars 2008