Au bout d'un laps de temps qui paraît infiniment long mais ne dure en fait que quelques instants, ce monde de ténèbres nous laisse nous échapper, et ce peu de temps suffit à abattre la plus farouche des volontés. Je me réveillais de mon état d'hébétude, frissonnant de crainte et d'effroi mélangés, me demandant ce qui avait pu m'arriver de si abject alors que quelques minutes auparavant je discutais passionnément avec ma jeune amie.
Et je la vis.
Elle était allongée dans l'herbe, le corps secoué d'une crise de démence, non pas de façon hystérique mais par gestes convulsifs et désordonnés. Un filet de bave coulait de ses lèvres entr'ouvertes.
Elle avait les yeux révulsés, une tache humide faisant une large auréole sur le devant de son short par cette chaude nuit de printemps.
J'arrivais à voir tout cela malgré la pénombre qui nous enveloppait, et sur le coup ne prêtais aucune attention à cet étrange phénomène. Je me précipitais sur elle, le coeur battant la chamade, sachant inconsciemment ce qui lui était arrivé.
M'agenouillant je la pris dans mes bras, prononçant son prénom comme une litanie, envahi d'un immense chagrin car je savais qu'elle était perdue pour toujours. Je caressais sa tête posée sur mes genoux, pleurant et me lamentant tout à la fois, car la perte d'une amie telle qu'elle était trop douloureux. Elle avait vu les mêmes choses que moi et n'avait pu le supporter, comme toutes les autres personnes qui étaient entrées dans ce monde interdit.
Alors pourquoi n'étais-je pas dans le même état qu'elle ?
Je connais la réponse, et le fait de la révéler n'atténuera jamais tout le mal que j'ai pu faire.
Le pourvoyeur de ce monde parallèle qui anéanti certains de ceux qui m'approchent, surtout ceux que j'aime mais également ceux que j'ai connus depuis mon premier jour, cest moi.
Moi qui arrive à les faire pénétrer dans un univers de cauchemars, sans que j'y puisse quelque chose, sans même m'en rendre compte.
Une entité inconnue se sert de moi et m'oblige à en être le Passeur.
Je l'ai compris lors du dernier voyage dans ce monde abominable, me montrant l'horrible révélation.
Je suis un monstre, même si c'est de façon inconsciente. J'ai supprimé irrémédiablement l'esprit de plusieurs personnes, de gens à qui je tenais beaucoup, et ne partagerai plus jamais les bonheurs que j'ai connu avec elles.
Je les accompagne le temps de leur voyage, impuissant à ce qu'ils doivent endurer, et en sort seul épargné.
Je sais que cela arrivera encore et n'y pourrai rien.
Je ne peux me détruire, je dois être en adéquation totale avec des mondes plus profonds que le mien, n'étant qu'un des rouages de l'immense machine.
Et cela vous non plus vous n'y pourrez rien.
Alors soyez sur vos gardes, et tremblez...
auteur : mario vannoye
le 15 avril 2007