Le 22 août fatidique, chez les Mac-Milan, à 7h32 exactement, alors que le père était debout dans la cuisine en train de boire un rapide café avant de se rendre à son bureau situé à l'autre bout de la ville, une soudaine et violente douleur à l'estomac le fit se tordre en deux avec un petit cri. Un peu comme celui que ferait une jeune fille trop sage voyant pour la première fois l'objet de son désir sur le corps de son amoureux dénudé, fort étonnée et admirative devant cette chose d'une telle dimension. Il en fit tomber sa tasse encore fumante sur le sol de la cuisine, éclaboussant les pieds de son épouse ainsi que leur chat qui se sauva dans le salon avec un miaulement de fureur. Il fonça dans la salle de bain au premier étage pour vomir dans le lavabo, un jet verdâtre et écoeurant où se mêlait le rôti de veau, les brocolis et la crème brûlée de la veille, ainsi qu'une substance noirâtre qui dégageait une odeur pestilentielle.
Il vomit pendant trois longues minutes, accroché au lavabo, la tête tourbillonnant, secoué de spasmes incoercibles, n'étant déjà plus cet homme aimant et attentionné qu'il avait toujours été. La même scène se produisit à peu près à l'identique dans nombre de foyers sur toute la planète.
Sa femme n'arrêtait pas de lui demander ce qui lui arrivait, complètement affolée.
Il se retourna et la repoussa violemment dans le couloir, les yeux rouges et un rictus de haine sur les lèvres, son dégueuli lui coulant sur le menton et sur sa nouvelle chemise bien propre qu'il mettait pour la première fois. La pauvre femme fut projetée contre la rambarde du palier et fit un vol plané par-dessus, sa tête rencontrant le coin du meuble où elle rangeait sa vaisselle en porcelaine. Elle fut tuée sur le coup. Son mari n'eut pas même un oeil de compassion vers sa tendre épouse, à qui pourtant il avait la veille au soir murmuré des mots doux à l'oreille dans leur lit conjugal tout en lui faisant l'amour.
D'un coup il s'effondra sur le sol, les yeux révulsés, une bave immonde continuant de s'écouler de sa bouche, sa physionomie changeant petit à petit, jusqu'à devenir une espèce de créature transformée en mort-vivant que l'on peut voir dans les films d'horreur. Mort il le fut, son coeur n'en supportant pas davantage, et les circuits de son cerveau se déconnectant les uns après les autres. Et vivant il le fut de nouveau, car quelques instants plus tard il rouvrit les yeux, ne ressemblant plus à grand-chose d'humain, l'estomac gargouillant tellement il avait une terrible fringale.
D'instinct il se dirigea vers la chambre de leur fils de seize ans qui dormait d'un sommeil profond, car il était encore en vacances. Il s'était couché très tard, après une soirée passée chez un copain à discuter et écouter de la musique. Son papa, avec qui il s'entendait bien d'ordinaire, s'approcha de son lit, traînant des pieds, lèvres retroussées, prononçant d'inintelligibles mots, et se pencha sur son fils. Celui-ci, sentant une présence au-dessus de lui, se réveilla en sursaut, et, voyant cette espèce de créature défigurée à quelques centimètres de sa tête, roula sur le coté et se retrouva en caleçon sur la moquette de la chambre, complètement réveillé maintenant. Réveillé et ne comprenant rien à ce qui se passait, hurlant de toutes ses forces " Papa, papa, arrêtes ! Mais qu'est-ce qui t'arrive " ? Devant la sauvage détermination de son père pour l'attraper et lui servir de casse-croûte, il n'eut plus que l'ultime solution de sauter du premier étage, volets et fenêtres grand ouverts à cause de la chaleur, et se mit à courir sur la chaussée en criant à l'aide. Il ne vit pas arriver la voiture qui roulait beaucoup trop vite. Le choc le projeta dans les airs, tellement il fut violent.
Comme sa mère qui servirait de nourriture à son père un peu plus tard, il fit aussi un joli vol plané, lui par dessus le macadam, son corps ayant beaucoup de grâce au-dessus de la route dans l'air frais du matin, et alla s'empaler sur la grille en fer forgé qui faisait le tour de la maison de leur voisin. Il ne mourut pas tout de suite, une pique de la grille sortant de sa gorge, une autre de sa poitrine, transperçant le poumon gauche, et une troisième de sa jambe droite. Le sang sortait à gros bouillons par ces orifices pas très naturels, et les quelques minutes qui lui restait à vivre et à contempler le ciel dans cette posture inadéquate pour une journée qui s'annonçait si bien, il les consacra à sa petite amie Mélanie avec qui il avait rendez-vous en début d'après midi. Ses pensées étaient aussi claires que d'ordinaire, lui qui était promis à un bel avenir si cette désastreuse aventure ne lui était pas arrivée.
Il y a des familles qui n'ont vraiment pas de chance.
Et de toute façon, aucune famille n'aurait de chance dans les prochains jours, vu la vitesse à laquelle se propageait le virus venu d'un autre monde.
Le conducteur de la voiture ne s'arrêta même pas, car on lui avait confisqué son permis de conduire avant le week-end pour une raison qui n'a rien à voir avec cette histoire, et comme il y a quand même une justice en ce bas monde, le soir même il servit de repas à une horde de morts-vivants qui l'apprécièrent particulièrement, affamés comme ils étaient.
Des cas comme ceux-là, on pourrait vous en citer des centaines, ce qui ferait un livre d'au moins 600 pages, mais ce n'est vraiment pas le but recherché. C'est déjà bien assez terrible comme cela de faire un compte-rendu de ce qui s'est passé le 22 août de cette année. Et sans même vous parler des jours affreux qui suivirent.
Les radios et chaînes de télévision diffusaient toutes les mises en garde nécessaires pour se protéger des zombies qui se baladaient dans les rues, invitant les habitants à se barricader chez eux, mais c'était en pure perte. Car il ne s'agissait pas de morts-vivants qui sortaient de terre, mais d'êtres humains qui avaient inhalé le poison mortel, et nul n'était à l'abri. Petit à petit, au fil des jours, lesdites radios et télévisions cessèrent leurs messages de prévention, les journalistes de ces stations devenant soit des contaminés, soit la proie de ces maudites créatures.
Un des cas les plus horribles que l'on peut néanmoins relater, c'est celui du petit Christian. Il avait justement son anniversaire ce fameux 22 août. Il dormit très mal la veille au soir, en proie à de méchants cauchemars. C'était le jour de ses 9 ans. Son père avait donné son accord pour inviter ses petits camarades et fêter ça dignement. L'après-midi du 21, il avait joué avec son grand frère Jérôme au mariozaure à grandes oreilles, un ogre monstrueux bien plus terrible que le mariozaure trapu, qui lui était fort gentil. Enfin, d'après leurs dires. Jérôme prenait un malin plaisir à faire peur à son petit frère avec ses histoires de mariozaure à grandes oreilles, d'où les cauchemars qui en avaient découlé la nuit suivante, car le petit Christian était dun naturel sensible et émotif. Surtout depuis le décès de leur maman.
Son papa avait tout préparé pour que tout se déroule bien avec les copains de son fiston, et petit à petit les invités arrivèrent. L'épidémie n'avait pas encore pris une telle ampleur, et seulement quelques foyers sporadiques existaient pour l'instant. Tout le monde croyait que ce qui s'était passé vers le 11 août était bel et bien terminé, remerciant le ciel pour cela.
Mais, dans le lot des amis venus déguster le gâteau d'anniversaire, il y avait un certain Billy. Il avait été invité sur demande express de Jérôme, car c'était l'un de ses meilleurs copains. Ce Billy portait en lui le virus qui allait déclencher un vent de folie dans toute la maisonnée. Tout d'abord, il goûtât un morceau du gâteau et le trouva très bon. Puis, se sentant un peu nauséeux, fila dans la salle de bains.
Personne n'assista à sa transformation dans la pièce, mais quand il en sortit plus tard, il alla directement dans le petit salon, où le père de Christian et Jérôme était en train de lire le journal dans son fauteuil préféré. Il était tellement absorbé par l'article qu'il lisait qu'il n'entendit rien venir. Comme cette pièce était à l'écart, personne ne se rendit compte de l'épouvantable drame qui s'y déroulait. Ce qui avait été Billy se jeta sur le père des deux enfants et planta ses dents dans la gorge de sa victime. Il en arracha un bon morceau, mais pas assez pour le tuer sur le coup. Il ne fallut pas très longtemps, à peine quelques minutes, pour que le papa qui attendait le moment propice pour offrir la nouvelle console de jeu à son petit garçon ainsi que quelques figurines de Bob l'éponge ne devienne lui aussi un zombie affamé, le terrible poison circulant déjà dans ses veines. Les yeux rouges, la bave aux lèvres, la haîne dans le regard, un morceau de chair en moins à la gorge, le sang contaminé s'écoulant de la plaie grande ouverte, il se dirigea vers la pièce où se déroulait les festivités, accompagné de son compère qui n'avait pas vraiment bonne mine non plus.
Ils pénétrèrent dans le séjour où les gamins jouaient à colin Maillard, et celui qui avait justement le bandeau sur les yeux, c'était le petit Christian.
En voyant les deux horribles monstres entrer dans l a pièce, les enfants se mirent à hurler de terreur, s'égayant dans tous les sens. Le père se jeta sur son garçon qui avait toujours son bandeau, et le mordit à pleines dents, le renversant sur le sol. L'autre zombie se joignit au papa agenouillé auprès du garçonnet, et tous deux arrachèrent de grands lambeaux de chair du corps du malheureux. Celui-ci criait, se débattait, mais cela excitait encore plus les deux sauvages. Au bout d'une courte agonie, le garçon ne bougea plus, mais ils continuèrent néanmoins leur sinistre besogne, portant à leur bouche les organes sanguinolents et les dévorant avec frénésie. Le grand frère eut la présence d'esprit d'aller chercher le fusil accroché dans le bureau de son père, et lui qui ne s'en était jamais servi car il lui était formellement interdit d'y toucher, réussi à l'armer et à tirer dans la tête des deux créatures. Il les aimait pourtant beaucoup mais là franchement, c'était pas possible. Une balle chacun.
Mais bon, cela ne servit à pas grand chose, car quelques jours plus tard tout ce petit monde était soit mort, soit se baladait dans les rues à la recherche de nourriture, et pas de celle que l'on vend à l'épicerie du coin.
Enfin, tout ça pour vous dire qu'à peine quinze jours après toutes les grandes villes du globe étaient rayées de la carte, et il n'y avait plus grand espoir de découvrir un seul être humain sain de corps et d'esprit sur notre bonne vieille Terre.
Et bien si, figurez-vous. Dans un petit village, quelques familles avaient survécu à cette pitoyable épidémie planétaire. C'était d'ailleurs le seul endroit où il y avait des survivants, bien organisés, capables de se défendre, menés par un jeune homme d'une vingtaine d'année, Maxime de son prénom. C'est bizarre, il avait justement son anniversaire le 22 août, lui aussi.
Ce village était situé pas très loin de la colline où s'était déposée la poussière extra-terrestre.
Pourquoi n'avaient-ils pas été contaminés ? Et comment avaient-ils survécu ?
On n'en sait rien.
C'est ça qui est dommage.
C'est frustrant, non ?
auteur : mario vannoye
le 22 août 2007