Intensité



C’était lors d’une manifestation d’observation astronomique, qui devait se faire rencontrer quelques centaines de personnes. Des passionnés, des curieux, des néophytes, tous ces gens étaient là à la nuit tombée pour passer un bon moment ensemble, à observer les étoiles et autres constellations, discutant, expliquant, partageant leur savoir et leur expérience.

Parmi toutes ces personnes, il y en avait une qui n’était absolument pas là pour ce motif.
Il avait un tout autre mobile, bien plus amusant selon lui.
Il était en chasse.
Et apparemment il venait de trouver sa proie, un jeune homme penché dans le coffre de sa voiture qui cherchait quelque chose, et, par chance incroyable, à dix mètres de son propre véhicule, et personne alentour.
Le tout était de faire vite, de ne pas attirer l’attention, d’attendre le bon moment et de l’emmener loin d’ici, dans son antre, sa cave où il pourrait s’adonner à ses jeux pervers et très excitants.
Pour lui, un seul mot d’ordre : intensité.
Il s’approcha tout doucement derrière lui, et au moment où il se relevait, lui donna un bon coup de matraque. Le jeune homme glissa au sol, évanoui, sans avoir eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. L’homme le porta prestement dans sa voiture, referma vite le coffre de l’autre véhicule, vivant chaque minute de cet enlèvement avec une profonde intensité.
Une fois à l’abri dans l’habitacle l’homme sortit une seringue et fit une piqûre soporifique dans le bras de sa nouvelle victime.




Allan se réveilla beaucoup plus tard, avec un horrible mal de crâne, et en ouvrant les yeux se demanda ce qu’il pouvait bien faire dans cet endroit nauséabond, où aucune fenêtre n'était visible. Seule une ampoule diffusait une lumière assez forte dans la pièce froide et humide. La première chose qu’il vit fut un établi en bois dans le fond de la pièce, sur lequel toutes sortes d’ustensiles tranchants étaient posés. Des couteaux, des hachoirs, des espèces de scalpels, des outils de bouchers avec des traces de sang et des morceaux de chairs collés dessus.
Il voulut s’avancer dans la pièce, fit trois pas, et la courte chaîne qui le retenait par le poignet au mur lui extirpa un cri de douleur et de surprise.
- Ça y est, t’es réveillé ?
Il regarda vers celui qui parlait et vit un autre jeune homme lui aussi attaché à un mur, à environ cinq mètres. Les cheveux sales et hirsutes, torse nu, de profondes marques rouges lui zébraient le torse, et le pire, une horrible plaie remplaçait son œil gauche.
Allan eut un haut le cœur en voyant ce visage défiguré et ne pouvait en détacher son regard, comme hypnotisé par cette dérangeante vision.
- Il va revenir ce salaud, il va revenir. T’as vu ce qu’il m’a fait, il m’a enlevé mon œil comme ça, avec une cuillère. J’ai hurlé pour qu'il arrête mais ce sadique prenait du plaisir à faire ça. Regarde là-bas, regarde !!!
Sa voix frémissait de peur, de détresse et presque d'hystérie.
Allan tourna la tête et vit le pire de ses cauchemars pas très loin de lui, une jeune fille entièrement nue attachée par une main à une chaîne qui descendait du plafond, l’obligeant à se tenir debout. Sa nudité n’avait rien d’excitant, car l’autre main n’était plus accrochée à son poignet mais gisait sur l’établi, tel un morceau de viande attendant le ragoût.
La pointe d'un de ses seins était découpé, faisant une auréole brune bien plus large que ce qui aurait dû être normalement.
Elle gémissait doucement, réveillée de son inconscience après ces horribles tortures et murmurant d’incohérentes paroles.
- Mais où est-on, cria Allan. Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? Comment tu t’appelles ? Et qui m’a amené ici ? M’enfin c’est quoi c’délire ?
Un flot de questions lui brûlait les lèvres, et il n’arrivait pas à toutes les formuler.
- Je m’appelle Ted, ça fait quatre jours que je suis là. Cet enfoiré m’a choppé un soir dans la rue en prétextant qu'il s'était perdu. Il m’a assommé, et je me suis retrouvé ici.
- Mais on doit bien nous rechercher, j’étais avec des copains. On va retrouver ma voiture, y a bien eu des témoins quand même !
- Sûrement, mais c’est un malin, il a dû prendre toutes ses précautions. Il va revenir et nous torturer comme il fait avec elle. Et mon œil putain, qu’est-ce qu’il a fait de mon œil ?
- Ne paniques pas, il faut essayer de rester calme Ted. C’est ça ? tu t’appelles Ted ? Moi c’est Allan. Il faut qu’on sorte d’ici. Je sais pas comment, mais y faut qu’on sorte.
- Mais c’est un boucher ce mec, un malade, y prend son pied à torturer des gens. Tu sais c’que j’ai vu hein, tu sais c’que j’ai vu, il a coupé le sein de la fille et il l’a bouffé bordel, tu m’entends, il l’a bouffé !
Sa voix montait dans les aigus en disant ça, car il revivait la scène, entendant encore les cris de supplices de la pauvre fille, écœuré et à la limite de vomir en voyant leur tortionnaire déguster avec plaisir le bout de chair humaine.




Soudain la porte en haut des escaliers s’ouvrit et leur tortionnaire descendit les marches.
Il devait mesurer environ 1,80 mètre et n’avait pourtant pas l’air très costaud. On pouvait se demander comment il arrivait à porter ses innocentes victimes. Un masque de cuir cachait ses yeux, laissant juste voir le bas de son visage. Sur le devant de son pantalon un tablier taché de sang lui servait à s’essuyer les mains lors de ses abominables travaux culinaires.
Il s’approcha d’Allan, regarda intensément à travers les deux fentes de son masque, le jaugea des pieds à la tête comme un éleveur de bétail examine la bête qu’il va acheter, attacha le bras libre à une autre chaîne fixée au mur, chercha un petit couteau bien aiguisé sur l’établi, retourna vers lui et arracha son tee-shirt en deux. Allan se retrouva torse nu, les yeux fous. Il essaya de se débattre et de donner des coups de pieds mais l'autre lui entailla les tendons avec son couteau, sourd et insensible aux cris hystériques que le pauvre poussait comme un dément. Il avait fait en sorte de ne pas couper trop profondément, juste pour lui faire passer l’envie de ruer comme une bête à l’abattoir. Il se releva, prit sa tête par les cheveux, la tira en arrière, hocha la sienne d’un air satisfait, et pour faire bonne mesure, lui cassa deux doigts en les tordant. Il prit ensuite les testicules du malheureux dans sa main et les broya mais pas trop fort. Le lendemain ils étaient encore douloureux, bleus et enflés, avec l’impossibilité de regarder les dégâts car il avait toujours les deux mains attachées dans le dos aux chaînes trop courtes.
Pendant tout le temps où l’autre martyrisait Allan, Ted lui hurlait toutes les injures possibles, le traitant d’infâme salaud, de merde immonde, d’impuissant, de restant de giclée, de connard dégénéré, enfin tout ce que son riche vocabulaire lui permettait de formuler, ne se rendant plus compte de ce qu’il disait, ni le risque de représailles qu’il connaîtrait quand l’autre aurait fini avec son compagnon d’infortune. Ce qu’il ne manqua pas de faire une dizaine de minutes plus tard, quand Allan perdit enfin connaissance.

C'était le tour de Ted maintenant. Il le regarda tout aussi intensément pendant de longues minutes, distillant une angoisse et une peur abominable dans chaque pore de la peau de sa victime. Son œil unique roulait en tout sens, il bredouillait des mots incompréhensibles et ne put se retenir de pisser dans son pantalon. L'autre approcha le couteau de son oreille et la découpa en y prenant le temps, vivant chaque moment avec intensité. Ted n’en pouvait plus de souffrances, n’arrivait plus à raisonner pour se demander ce qu'il lui réservait encore.
Tenant son trophée dans le creux de sa paume, leur bourreau la lécha comme une délicieuse friandise puis la posa sur l'établi, à coté de la main de la jeune fille qui continuait à gémir.
Il laissa Ted et Allan, du moins pour l’instant, pour se concentrer uniquement à ce qu’il avait à faire avec elle.
Il attendit qu'Allan se réveille, car il voulait que lui aussi profite du spectacle et de ses talents culinaires.
Lorsque ce fut le cas, il la décrocha de la chaîne et la jeta sur la table.
Prenant l’un des hachoirs il l'abattit avec force sur l’un des pieds, qui se détacha du reste du corps avec un bruit sec. La malheureuse n’eut pratiquement aucune réaction, tant elle était loin dans les méandres de son esprit, formant une carapace à ce qui se passait autour d’elle.
Le sadique continua ainsi jusqu’à ce que tout le corps soit découpé, mettant chacun des meilleurs morceaux dans une grande marmite, et les autres dans une grosse poubelle. Il se suçait les doigts de temps en temps, fermant les yeux de plaisir, mâchant un petit morceau de fesse, de bras ou d’autres succulentes parties.
Allan et Ted assistaient impuissants à ce carnage, réalisant ce que l’autre leur destinait, écœurés, horrifiés, épouvantés par une telle monstruosité et un tel sadisme.
Quand il eut fini, il s’approcha de Ted, lui entailla l’une de ses jambes et mit un récipient en-dessous pour récupérer le sang qui coulait. Il fit de même avec Allan, et pour la première fois s’exprima d’une voix grave :
''C’est pour la sauce'', dit-il, sans fournir de plus amples renseignements. Ils comprenaient ce que cela voulait dire. La douleur qu’ils ressentaient de leurs blessures était intolérable, en plus de celles que l’autre leur avait déjà infligées.
Puis il versa le liquide dans la marmite et remonta avec elle au premier étage.




Ted et Allan restèrent plusieurs heures sans se dire un mot, souffrant en silence et maudissant leur triste sort. L’autre ne redescendit pas avant le lendemain matin.
Les mouches bourdonnaient au-dessus de la poubelle contenant les restes de celle qui n’avait pas eu le temps d’avoir vingt ans, qui avait été très jolie et fait tourner la tête à bien des garçons. Elle leur avait fait imaginer des tas de fantasmes sexuels et n’était plus qu’un amas de viande, une nourriture pour les asticots.

C’est le lendemain vers dix heures que l’autre redescendit. Comme il fallait bien se nourrir et qu’en plus il adorait cuisiner, il s’occupa d’abord de Ted. Non par préférence ou bien qu’il y avait plus à manger sur lui car les deux jeunes hommes avaient à peu près la même taille et la même corpulence, mais parce que cela faisait plus longtemps qu’il était là dans cette cave, et la viande trop stressée devenait trop dure.
Le pauvre Ted hurla encore et encore tandis que l’autre coupait et découpait, sachant pertinemment où mettre le couteau et le hachoir pour ne pas les tuer tout de suite ni même qu’ils s’évanouissent. Leurs cris résonnaient comme une douce musique à son oreille, un hymne à son art culinaire.
Il s’occupa d'Allan deux jours plus tard, Allan qui n’arriva pas à sombrer dans la folie bienfaitrice mais resta conscient jusqu’au bout.
Allan qui eut le temps de penser pendant ces deux jours à ses études trop tôt terminées, à sa famille qu’il ne verrait plus jamais, à ses nombreuses passions, et même à son nouvel ami qui écrivait des histoires si abominables.
Il fut dégusté avec intensité, et l’autre les savoura d’autant plus qu’en fait ils le connaissaient tous deux, mais aucun ne l’avait reconnu et n’était venu une fois chez lui.
Leurs familles et amis respectifs les regretta beaucoup car c’était de chouettes gars, aimés et appréciés, et ils furent longtemps pleurés, mais jamais retrouvés.
Et l’autre continua sa vie.

Avec intensité.


auteur : mario vannoye
le 22 avril 2007