Un barbecue si délicieux




Les convives commençaient à arriver au lieu de rendez-vous.
C’était pour fêter un anniversaire, et un barbecue avait été organisé pour cette occasion sur un terrain aménagé, avec de grandes tables circulaires et des bancs, ainsi qu’un petit chalet sur le côté pour se mettre à l'abri en cas de besoin.
On attendait environ une vingtaine de personnes, chacun apportant sa contribution, boissons, salades, gâteaux faits maison, café, enfin de quoi passer un bon moment tous ensemble.
L’organisateur de la soirée, une personne apparemment sympathique et agréable, s’était donné beaucoup de mal pour que tout se passe dans de bonnes conditions, écrivant et téléphonant pour les invitations. C’était lui qui devait amener toute la viande, celle que les invités dégusteraient en se pourléchant certainement les babines, ne manquant pas d’émettre nombre de compliments sur la qualité et la fraîcheur de celle-ci.
Enfin, s’ils avaient su d’où elle provenait, ils auraient tous vomis leurs boyaux jusqu’à ne plus cracher que de la bile, écœurés à l’idée de ce qu’ils venaient de manger, leur cerveau refusant d’admettre une chose aussi ignoble.

Car cette personne apparemment sympathique et agréable avait un petit défaut : il aimait beaucoup ses semblables. Et quand je dis « aimait », ce n’est pas d’amour que je parle, ni de compassion ou de sentiments agréables envers une personne, c’est « aimait » au sens physique et gustatif du terme.
A savoir que régulièrement quelqu’un disparaissait dans la région, on mettait des semaines à essayer de le retrouver, puis on abandonnait les recherches, sans aucune piste à suivre.
La personne disparue était en général jeune, de préférence de sexe masculin. Il était devenu au fil du temps un vrai cordon bleu dans la préparation culinaire de ses recettes.

Mais ce soir, il ferait une exception. Comme il appréciait beaucoup les gens qui étaient invités au barbecue, il avait envie de leur faire plaisir. C’était sa devise dans la vie de tous les jours : ‘ça me fait plaisir de te faire plaisir’. Et même s’ils ne sauraient jamais ce qu’ils avaient eu dans leur assiette, pour lui c’était la même chose, il serait content de leur faire ce cadeau, et nul doute que les gens se souviendraient longtemps de l’excellence du repas.
Il avait mis toute la matinée à préparer les morceaux sortis de son grand congélateur, coupant, sciant, tranchant, évidant, mettant d’un coté ce qu’il voulait cuire ce soir sur le feu, et de l’autre les parties à jeter.
Ce qu’il avait sur son étal de boucher, c’était un jeune homme blond qu’il avait enlevé il y avait seulement deux jours. Sa tête reposait sur le sol, les yeux grands ouverts de stupéfaction, comme s’il se demandait ce qu’il faisait là par terre, alors que le reste de son corps reposait un mètre plus haut, son sang s’écoulant en filets réguliers dans une rigole aménagée pour s’écouler dans un seau, prêt à être consommé immédiatement, le reste servant à préparer diverses sauces.
Des plats et assiettes s’étalaient sur l’établi, et il y mettait ce qui pourrait être cuit en brochettes ou directement sur la grille. Il résistait à la tentation de goûter de suite à cette viande si délicieuse, déposant comme une relique dans les assiettes alignées les morceaux qu’il considérait comme les meilleurs, cœur, foie et autres portions charnues découpées en steak.
A 17 h, tout était près, il pouvait ramener le tout sur le terrain où se déroulerait le barbecue.




C’est vers 20 heures que le repas débuta, après deux ou trois verres d’apéritifs et une ou deux coupes de champagne, le temps que le feu soit à point pour y mettre la viande à cuire.
L’ambiance était à la bonne humeur, tout le monde étant très heureux de se retrouver, de discuter de leur passion commune, l’astronomie. Chacun s’installa autour de la grande table, et on commença à manger. Il faisait bon, la pluie ayant enfin cessée de tomber le matin même. L’organisateur avait le cœur qui battait à tout rompre, excité comme il était à l’idée de faire goûter ’‘son’’ barbecue.
Une bonne odeur de viande grillée venait chatouiller les narines des convives attablés, et le fumet délicat des organes humains en train de grésiller mettait l’eau à la bouche.
Quelqu’un se proposa pour faire le service, déposant dans des assiettes en plastique les morceaux qui venaient d’être cuits, et les distribuant au fur et à mesure. Les premiers à manger avaient les yeux qui pétillaient de plaisir, assaisonnant leur viande avec diverses sauces et l’accompagnant de chips et de salades. Plusieurs personnes exprimèrent leurs compliments vis à vis du cuisinier, notamment un jeune homme d’une vingtaine d’année, un bon garçon avec le visage de quelqu’un d’espiègle et de malicieux qui eut droit au testicule gauche, et une jeune fille assez mignonne d’environ 24 ans qui se retrouva avec le testicule droit dans son assiette, elle qui d’ordinaire regardait et touchait ces choses d’une toute autre manière, mais avec autant de gourmandise... Ils découpaient délicatement ces petites boules rondes brunies par la cuisson, les trempaient dans du ketchup et les portaient à la bouche, mastiquant et savourant ce qu’ils croyaient être de simples boulettes de viande. Tous mangeaient de bon appétit, hommes, femmes et enfants, dégustant les bras, jambes, cuisses, organes internes, ainsi que la partie la plus charnue de l’anatomie humaine, tout ça découpés en escalope, côtelettes et autres bons morceaux, allant jusqu’à sucer les petits os avec délectation. La joie se lisait sur leur visage, accompagnant leur repas d’un bon verre de vin naturel que quelqu’un avait ramené, et une dame qui d’ordinaire était la mieux élevée au monde se permit même un rôt retentissant, devenant rouge de confusion et de gêne. Tout le monde se mit à rire, et l’incident fut vite pardonné et oublié.

Le repas dura ainsi plus de deux heures, et il ne restait plus un seul morceau de viande. Le malheureux jeune homme kidnappé était désormais dans l’estomac de chaque invité, digéré lentement, noyé parmi les autres aliments, bouillie informe déjà attaquée par les sucs gastriques. La nuit commençait à tomber, ainsi que la fraîcheur nocturne, la lune observant la terre de son grand œil majestueux et solitaire, car ce soir là c’était également pleine lune. L’organisateur était pleinement satisfait de la soirée passée, car c’était la première fois qu’il faisait ainsi partager ses goûts culinaires. Il sentait son sexe gonfler et durcir en une belle et grosse érection de plaisir, tant la tension était forte. Il s’obligea à penser à autre chose, attendant de rentrer chez lui pour se soulager dans l’intimité de sa chambre.




Il n’y avait d’ailleurs pas que le satellite terrestre qui observait les convives. Au moins une centaine de minuscules petits yeux verts brillaient à environ 150 mètres de l’endroit où ils se tenaient, et si les gens en train de s’empiffrer comme ils faisaient avaient fait un peu plus attention aux enfants qui les accompagnaient, ils se seraient rendu compte qu’il en manquait un depuis une bonne demi-heure.

Celui-ci s’était aventuré seul à la lisière du bois tout proche, confiant et téméraire, ne se doutant pas un seul instant de ce qui l’attendait. Il gisait désormais sur le dos au pied d’un arbre, la gorge déchiquetée, les vêtements en lambeaux, de profondes morsures sur pratiquement tout le corps. Un trou béant se trouvait maintenant à la place de son ventre, faisant jaillir les intestins comme de grandes cordes gluantes.
Les gens autour de la table continuaient à plaisanter, à rire, à discuter de choses et d’autres, surtout de l’excellent repas qu’ils venaient de faire. En somme, ils vivaient et appréciaient un bon moment, ne se doutant pas du tout qu’il ne leur restait plus beaucoup de temps à vivre, dévorés qu’ils seraient comme ils avaient dévoré sans le savoir le jeune homme avec autant d’appétit.

Une des personnes se leva pour se promener un peu dans le champ juste à coté, afin de reprendre ses esprits après l’alcool ingurgité et l’estomac un peu lourd de tout ce qu’il avait avalé. L’herbe alentour n’avait pas été coupée depuis un moment et mesurait bien dans les 45 centimètres, chatouillant ses jambes nues. Il contemplait l’astre lunaire tout en marchant, et devait être déjà à une petite distance des autres quand la première morsure le fit sursauter et hurler de douleur. Il crut d’abord avoir été piqué par un serpent quand une deuxième, puis une troisième morsure, et enfin une multitude de petites dents acérées se plantèrent dans ses pieds et ses mollets, le faisant tomber sur le sol déjà humide. Il était complètement affolé, agitant les bras dans tous les sens, se débattant comme il pouvait, criant à l’aide de toutes ses forces. Les autres se levèrent de leurs sièges, chacun se demandant ce qui arrivait, ne comprenant pas très bien si c’était une bonne blague ou s’il se passait vraiment quelque chose d’anormal.
Une des petites créatures aussi affreuses que celles que l’on peut voir dans un film d’horreur pénétra directement dans la bouche du malheureux, l’étouffant à moitié, et d’un coup mordit dans sa langue, faisant pisser le sang dans le fond de sa gorge. Plusieurs autres se permirent d’entrer dans son short, découvrirent ce qui s’y cachait, et se jetèrent dessus avec frénésie. Le bruit de leurs mâchoires avait quelque chose d’écœurant, arrachant la peau veloutée, se baignant dans le sang qui giclait. Son torse grouillait de toutes ses monstrueuses petites choses, sa tête n’était plus qu’un amas sanguinolent. Déjà sa cervelle sortait de son crâne fendu et liquéfié par la salive acide des bestioles démoniaques, cette cervelle qui lui avait pourtant permis de faire de bonnes études par le passé.
Les autres personnes commençaient à accourir, n’entendant plus rien des cris affolés de tout à l’heure, car bien sûr il était mort depuis quelques instants déjà, heureusement pour lui.

Le troisième qui y passa, ce fut justement le fameux cuisinier, juste retour des choses. Celui qui ‘’aimait ‘’ tant ses semblables fut lui aussi très aimé par les petites créatures sorties d’on ne sait où. On peut même dire qu’il fut carrément le plus apprécié, car sa viande avait ce goût incomparable de chair humaine, lui qui en avait tant avalé au cours de son existence. Les autres essayèrent de s’enfuir en criant et hurlant, terrorisés, mais tous furent rattrapés, mordus, déchiquetés, mis en pièces, et il n’y eut aucun survivant.
La lune pleine continuait de contempler ce triste spectacle, indifférente comme à son habitude à tout ce qui concernait l’espèce humaine. Le lendemain matin de bonne heure, des centaines de grosses mouches noires pondirent leurs œufs dans ce qui restait des convives de la veille, et des charognards emportèrent le reste, même les vêtements. Quand enfin on s’inquiéta de la disparition inexplicable d’une vingtaine de personnes qui avaient laissé toutes leurs affaires et leurs voitures sur place, jamais on ne se douta qu’elles avaient tout simplement été dévorées par des bestioles aussi abominables, de vraies créatures de cauchemars.

D’ailleurs elles attendaient patiemment dans leur repaire, peut-être que prochainement serait organisé un autre barbecue ?
Allez donc savoir...

auteur : mario vannoye
le 10 juillet 2007