J'ai froid



J'’ai froid.

J’'ai froid et il fait nuit.
C'’est bizarre, je n’'arrive pas à bouger. J'’essaie de toutes mes forces de remuer le petit doigt, mais rien à faire.
En plus j'’ai une de ces soifs ! Et j'’ai l’impression que cela fait des jours que je n'’ai rien mangé.
Je n’'entends rien. C'’est le silence absolu. On dirait que tout est mort autour de moi, même pas le plus petit bruit.
Hier soir je me suis couché comme d''’habitude, en même temps que Claire. Après le repas vers 20 heures, j'’ai fais la bise au gamin, comme toujours, ensuite il est allé dans sa chambre, demain il a école.
On a joué tous les deux avec sa nouvelle console, mais pas bien longtemps.
Enfin il me semble que c’'était hier soir.
Ca s'’embrouille dans ma tête, je n'’arrive pas à me souvenir. Mais si, c'’était bien hier soir, j’ai téléphoné à ma mère, comme tous les mardis.
Mais qu’'est-ce que j'ai moi ? Et pourquoi fait-il aussi noir ? Bon sang, n'y a-t-il donc personne pour me dire ce qu'’il se passe ?
Voyons, si hier on était mardi, donc aujourd’hui c'’est mercredi, forcément, et Sylvain n'a pas classe.
Il est encore au lit, et quand il se réveillera, il viendra me sauter au cou, comme toujours. Sylvain. Ca c'’est un bon garçon. On l'’a eu tard, mais franchement, jamais on l'’a regretté. Sacré bonhomme !
Il est super gentil, bon à l'’école, et il adore ses parents. Merde j'’suis son père quand même.
Là il doit dormir.
Quelle heure il peut bien être ? trois heures ? cinq heures ? non pas cinq heures.
J'aurais entendu le voisin partir au travail, sa porte de garage fait un boucan du diable quand il l'ouvre. Je lui ai déjà dit, mais il en a rien à foutre celui-là. Et sa bonne femme, comment il a pu épouser cette idiote ?
Mais qu'’est-ce que je raconte ? On a pas de voisins à 500 mètres à la ronde. Hou là là, ça va vraiment pas chez moi.
Tiens mais je n'ai même pas pensé à ça : si je suis dans notre lit, j'entendrais au moins ma femme respirer. Mais rien du tout. Je commence vraiment à avoir les boules. Et pourquoi je n'arrive pas à cligner des yeux, et qu'ils restent grands-ouvert ?
Mais merde, y a donc personne dans cette baraque pour me dire ce qui m'arrive ?
J’'ai envie de hurler, mais pas moyen. Même pas un petit souffle d’'air qui sort de ma bouche. Et ça sent le renfermé. J'ai l'impression d'étouffer, d'être comme dans une boîte. Heureusement que je ne suis pas claustrophobe.




Ah mais oui, hier c'était l'anniversaire de Sylvain. Onze ans mon garçon. Un énorme gâteau, des tas de copains à la maison, et en cadeau la console de jeux, ça faisait longtemps qu'il l'a voulait. Je lui avais promis qu'il l'aurait s'il travaillait bien à l'école.
Et il a bien travaillé, comme d'hab. De toute façon, même s'il avait mal bossé, on lui aurait quand même offert. Je ferais n'importe quoi pour lui. Mes parents disent qu'on le couve trop, moi et Claire. Et qu'est-ce qu'ils croient donc, c'est mon gamin non ?
Mes parents disent qu'on le couve trop ? Mais ça fait cinq ans qu'ils sont morts. J'ai quoi moi ? Une putain de maladie, celle d'alzaymer par exemple ? J'arrive déjà plus à me souvenir de certains choses de ma vie ? Merde, la mort de ses parents, c'est quand même pas quelque chose qu'on oublie si vite !
Mais qu'est-ce que j'ai froid ! Et toujours pas le moindre bruit. Où sont-ils donc tous passés ? C'est quand même dingue ça. J'ai une famille, des amis, des voisins, ah non c'est vrai pas de voisins proches, et tout et tout et personne pour me dire ce qui arrive dans cette saloperie de maison ???? Du calme, du calme, ça sert à rien de s'énerver. Forcément, quelqu'un va venir. Va venir et me dire ce qui se passe.
Ou alors je rêve. Mais oui c’est ça, je suis en train de rêver. Je vais bientôt me réveiller, le réveil va sonner et me tirer de ce cauchemar.
M'enfin j'arrive quand même à me réveiller tout seul non ? J'ai même pas envie d'aller aux toilettes. D'habitude je dois me lever au moins deux fois dans la nuit pour aller pisser, mais là rien du tout. Y faut que je me réveille, y faut que je me réveille, y faut que je me réveille... Mais non, j'y arrive pas.
Hé mais pas ça ! Non ! Me dis pas que t'’es déjà réveillé ! Mais si je suis réveillé, pourquoi je ne peux pas bouger ?
D'ailleurs j'ai les deux bras bien contre le long du corps. Jamais je dors de cette façon !
Y a un problème là. Qu'est-ce que je dois faire ? J'en connais qui vont devoir s'expliquer tout à l'heure. Parce que j'ai quand même droit à un minimum d'exp... hé mais j'entends du bruit. Comme un bruit sourd. HE ! HO ! TIREZ-MOI DE LA ! MERDE FAITES QUELQUE CHOSE ! JE SUIS LA - ICI - DEVANT VOUS ! Gueule pas comme ça, tu vas pas entendre s'ils viennent ou pas. En plus c'est dans ma tête que j'ai crié. Pas un seul mot sorti de ma bouche. Pas le plus petit. J'arrive pas à bouger les lèvres, j'arrive pas à remuer un seul doigt, y vont croire que je suis mort ma parole.
De toute façon j'’entends plus rien.




Voyons, qu’'est-ce que j'’ai fais hier ? Je suis allé au bureau, en revenant j'’ai pris Sylvain à l'’école, puis on a fait des courses tous les trois.
Non, j'ai pas pris Sylvain, ce sont les vacances. On est en août. Dans une semaine on part en Corse, à Porto-Vecchio. J'ai la peinture des volets à refaire avant de partir. Faut que j'en profite pendant qu'il fait beau. Et là-bas on fera de la plongée sous-marine, il adore ça. Il s'est même inscrit à un club pas loin d'ici. Ca deviendra un vrai poisson mon Sylvain. Y faut voir comme il nage ! On ira également chez des amis à Sainte Lucie, pas très loin de Bonifacio...


Qu'est-ce qui me chatouille comme ça sur la figure ? Je me suis endormi on dirait. Je pensais à quoi déjà ? Je sais plus. Y'a une espèce d'insecte qui me court sur le visage. C'est quoi ? Une araignée, une saloperie de cafard ? Putain c'est dégueulasse, y a plein de pattes qui me gigotent dessus. Il est sur mon nez maintenant, sur mes lèvres.
Beurk ! Si seulement j'arrivais à l'enlever, à l'écrabouiller cette cochonnerie. Heureusement j'ai la bouche fermée, il serait rentré dedans autrement. Aïe, il m'a piqué juste au-dessus de l'oeil cet enfoiré. Oh putain que ça fait mal. Ca me démange comme tout, et pas moyen de me gratter. Aïeaïeaïeaïe, qu'est-ce que j'ai mal. Mais on dirait que la bestiole est partie.
Attends voir, j'entends de nouveau des bruits.Ouais ç'est vrai. Enfin, on va venir me délivrer de ce cauchemar. Des pas se rapprochent. Ouah cette lumière ! Au moins, je ne suis plus dans le noir. Je vois juste à deux mètres au-dessus de moi une rangée de néons allumés, ça me fait mal au yeux. Et quelqu'un qui marche pas très loin. Il vient, il est de plus en plus près. Une seule personne. Si seulement je pouvais crier, l'appeler, attirer son attention. Ca y est, il est juste au-dessus de moi. Mais c'est qui ça ? Jamais vu ! Il a une de ces tronches. M'enfin, il voit pas que j'ai besoin de lui ? Mais qu'est-ce qu'il fabrique ? Y me met quelque chose dans les narines...
Oh meeeeerde ça y est je comprends ! Cet imbécile croit que je suis mort, je suis dans une putain de morgue, un putain de cercueil et il a ouvert le couvercle, et ce putain de con croit que je suis mort !!!
HE ! DECONNES PAS ! JE SUIS VIVANT TU M’'ENTENDS, JE SUIS VIVANT !! ARRETES DE ME TRIPOTER COMME CA AVEC TES SALES PATTES !

Non non non non je veux pas être enterré vivant merde merde fais pas ça mec fait pas ça homerdemerdemerdeyvapamefèreçacépaspossiiiiiiblepitiémondieufaitequeçasarrête !

Ca y est il a fini. Je ne me sens même pas respirer, et ce produit qu'il m'a enfourné dans le nez, ça pue la menthe, j'ai horreur de ça. Y voit pas que je suis vivant, il le voit pas. Et les médecins, ils ont bien dû faire des examens, c'est quoi qui fait croire à ce point qu'un vivant est considéré comme décédé ? Et Sylvain ? Et Claire, ils ont besoin de moi tous les deux. Mais qu'est-ce qu'il s'est passé pour que je sois là-dedans ? Ils doivent être dans tous leurs états, avoir un chagrin monstrueux s'ils croient que je suis mort. Et mort de quoi ? Je suis un mort-vivant, c'est ça je suis un mort-vivant. Mon petit Sylvain, mon cher fiston, qu'est-ce que tu vas devenir sans moi ? Je vais crever là comme un con, dans la plus atroce des morts, enterré vivant !!! Je sens une larme couler de mon oeil gauche. Cet enfoiré de préparateur de cadavres va forcément la voir. Ca pleure pas un mort, ça pleure pas. Ca y est, il se repenche au-dessus de moi. Regarde mec regarde, tu vois pas cette petite larme qui coule ?
MAIS REGARDE DONC CONNARD REGARDE DONC ! Il l’a verra pas, je le sais il la verra pas. Ca y est, il referme le couvercle. C'’est fini.





Je sens que l'on m'emmène sur un chariot. On doit être dans une salle, il y a plusieurs voix autour de mon nouveau domicile. Ha ha ha, elle est bien bonne celle-là. Mon nouveau domicile ! Mais....mais c'est mon fils que j'entends ! Il pleure. Oui il pleure. Et sa mère qui essaie de le consoler. Ho non bonhomme, pleure pas. Ton papa n'est pas mort, il est là, à côté de toi. Je pleure aussi, à chaudes larmes, mais c'est trop tard, personne ne relèvera le couvercle de mon cercueil pour voir que j'ai le visage inondé de larmes, et que je pleure en silence, sans le moindre petit mouvement. Je suis comme paralysé, non, rectification, je SUIS paralysé. Je voudrais tellement le serrer dans mes bras, lui dire combien je l'aime, l'embrasser encore et encore. Mais non, je ne le pourrai pas, j'essaie de crier, de toutes mes forces j'essaie de crier, mais il n'y a rien à faire.
Boum !
"Papa, papa, reviens papa, t'es pas mort papa, je veux encore te voir !" C'est Sylvain qui s'est jeté sur le cercueil et s'est écroulé dessus. Pitié, arrêtez ce supplice ! J'entends mon fils à cinquante centimètres de moi et je ne peux pas lui dire que je suis vivant. C'est atroce. Mes pleurs redoublent, je sens mon coeur qui se serre de chagrin, je ne veux plus entendre mon bonhomme crier sa douleur.
Je l'’entends encore, mais plus loin. Il doit être blotti dans les bras de sa maman, il sanglote, et elle essaie de le consoler, en surmontant sa peine. Et nous continuons de pleurer...

On m'emmène de nouveau, et puis j'entends faiblement une personne qui parle, et des chants. On doit être dans une église. J'assiste à mon propre enterrement, c'est complètement dingue ! La messe est terminée, je suis dans un fourgon mortuaire. On s'arrête. C'est certainement le cimetière maintenant. Je sens qu'on me descend dans un trou, j'entends des gens parler à voix basse, et le raclement des cordes autour du cercueil quand ils le descendent au fond. Et la terre que l'on jette dessus, avec des pelles, une montagne de terre au-dessus de moi.
Ma mort sera atroce, à petit feu. Je n'’aurai pas vécu bien longtemps. J'’avais tellement de projets à réaliser.
Je commence vraiment à étouffer.
Je panique, je suis complètement affolé. Ca va durer combien de temps ? Quelques heures, une journée, plusieurs jours ?
Le plus terrible dans tout ça, c'est que je sens mes membres se dégourdir, revenir à la vie, j'ai réussi à remuer un doigt mais vraiment pas grand-chose. Je n'arrive pas encore à bouger les lèvres, encore moins à hurler que je suis vivant. Bientôt il sera trop tard, tout le monde sera parti quand je me mettrai à gratter le couvercle de mon cercueil, les doigts en sang, à hurler comme un dément.

J'’ai encore une dernière pensée avant de sombrer dans la folie, une seule phrase qui martèle mon esprit : Claire, Sylvain, je vous aime, je vous aime, je vous aime, je vous aime...


auteur : mario vannoye
le 03 septembre 2007